Retour à France

J'arrive place de la Nation. Un rassemblement est prévu en hommage aux victimes des attentats.
Il fait un froid de canard. Des millions de coeurs lourds, avec le nez qui goutte, déambulent.
Je m'installe sur un monticule de terre au milieu du rond point, ramasse une pancarte "Je suis Charlie",
et m'assoie dessus. Désolée Charlie, je dois protéger mes fesses du froid. Un homme me tend à la hâte
une affiche où est il inscrit "Je suis juif". J'imagine la situation hors contexte. Ça me ferait sourire,
sans cette profonde tristesse.

À côté de moi est assise Cécile. Elle a 83 ans. Elle me dit "Ça fait trois fois que je viens ici en temps de guerre :
il y a eu la libération, et puis mai 68, et aujourd'hui.
" Elle est bien équipée contre le froid Cécile, et elle patiente, tranquille. Pas de doute, c'est une pro des temps de guerre.

Un homme prend en photo le tremplin des journalistes. Souriez, la boucle est bouclée.

Merde, il se met à pleuvoir.

Trois heures que je suis là. La foule devient dense, les motivés ont escaladé la statue de la place.
Il crient des slogans à se casser la voix, certains ont l'air saoul. Je n'aime pas les slogans.
Pour ma part, l'heure est au recueillement, et non à la lutte. Mais chacun vit les évènements à sa manière,
et il faut composer avec cette pluralité d'émotions. C'est le message de ce cortège éclectique.  
 

Une grand rassemblement, c'est aussi beaucoup de gens esseulés, privés de réseau téléphonique,
qui cherchent leurs amis. Être ensemble OK, mais entre nous, quand-même.

Ça y'est, le cortège arrive à Nation. On ne sait pas où diriger le regard, on applaudit sans savoir qui arrive,
on sent les ondes de la rumeur.

Peu importe les chefs d'état, les partis représentés, les médias, le témoignage des spécialistes.
Ce qui nous a amené ici, c'est un instinct millénaire, un élan humain.
Pour la récupération politique, on verra demain.